Editorial émis sur ce blog avec autorisation.
Le lien Armée -Nation est-il en péril ?
Qui se souvient,en effet,que le 20 septembre 1792,sur le plateau de Valmy,se joua le destin de notre collectivité nationale,en même temps que naquit
la République laïque,une et indivisible,proclamée le lendemain par la Convention nationale.
A l'unisson de ce cri rassembleur:"vive la Nation";les Sans-culottes,unis derrière le général Kellermann,permirent plus que quiconque d'asseoir
définitivement l'idée de Nation et de souveraineté nationale.
Ces soldats volontaires de l'An II,venus en masse,au son de la Marseillaise,défendre la Nation,constituent ainsi les précurseurs du lien Armée-Nation,qu'ont
perpétué,dans le sacrifice,l'héroïsme et l'honneur du service à la Patrie,de nombreuses générations du feu.Qu'il s'agisse des conscrits d'hier,de l'armée professionnelle et des réservistes
aujourd'hui,tous témoignent ou ont témoigné d'un attachement sans faille à la République et à la Nation.
On le constate,le lien Armée-Nation trouve sa source ,dans les circonstances exceptionnelles,à la fois face à une menace extérieure ou un grave danger
intérieur.
Les Sans-culottes de Valmy ont forgé avec panache une part de notre identité nationale.
Au cours du XX° siècle le lien Armée-Nation a vécu des étapes parfois difficiles.Qu'on en juge!
La France de 1914 était partie au combat avec,au coeur,le nationalisme républicain que lui avaient enseigné
ses maîtres d'école,figure de proue d'un peuple qui se voulait fort et éclairé.
La cohésion nationale exceptionnelle d'alors permit à notre pays de tenir pendant ces quatre années qui constituèrent la plus terrible épreuve de son
histoire(1.400.000 morts de 1914-1918,soir une moyenne de prés de 1.000 morts par jour).
Puis vingt années de crise,le souvenir de la terrible saignée de la Grande Guerre avait traumatisé la nation et suscité un antimilitarisme mortel et
funeste.
Quand aux chefs,civils ou militaires,plongés dans un pacifisme délétère,ils n'avaient plus envie de se battre.A bien y regarder,le décrochage Armée-Nation fut en
grande partie la cause de la défaite.
Aussi,lors de la Deuxième Guerrre Mondiale,la France
épuisée,vieillissante et déchirée s'effondra devant une Allemagne cuirassée de certitudes inébranlables;puis elle donna le spectacle de l'abaissement moral et des accomodements douteux avec le
vainqueur.
Après cette période tragique,le France s'est trouvée engagée dans des guerres pour le moins impopulaires et contestées.
L'Indochine fut une intervention qui commença dans l'indifférence avant d'évoluer vers une large hostilité
soigneusement entretenue,notamment par le PCF de l'époque,qui représentait de 25 à 30% des suffrages et soutenait ouvertement les insurgés Vietminh.
Cela allait jusqu'aux trains de blessés conspués par la foule jusqu'au sabotage des fournitures de guerre essentielles livrées aux troupes.
Imaginons aujourd'hui,ce que pourrait être la situation de notre armée si presque un tiers de l'opinion publique prenait fait et cause pour les talibans qui
combattent nos soldats en Afghanistan.
Puis, la guerre d'Algérie fut pire encore.Elle amena la Nation au bord de la guerre civile en portant les
tensions entre le pouvoir politique et les militaires(notamment professionnels) jusqu'au point de rupture.
Le hiatus qui en sortit fut dévastateur.Cela généra le putsch,"soldats perdus",unités dissoutes.
Aussi,après cet épisode douloureux,dans l'esprit de certains citoyens de toutes obédiences politiques s'installa l'idée que l'armée était travaillée par des
tendances séditieuses,putschistes,antidémocratiques.
Un fait important est à mentionner.L'armée qui combattait en Indochine puis,au début,en Algérie,était composée de militaires professionnels.Cela lui ôta le soutien
d'une grande partie de la population française,qui se retourna définitivement contre la politique de "maintien de l'ordre" quand pour l'Algérie on lui associa les appelés du contingent ,qui
furent un peu les "Malgré-nous"de ce qui était considére comme de la répression colonialiste.Les reculs de l'armée française face à l'inexorable mouvement d'émancipation des peuples colonisés
eurent pour origine et pour conséquence l'affaiblissement de la relation armée-nation.
Puis advint Mai 68.Les événements en eux-mêmes bien que limités provoquèrent des conséquences ,en revanche,importantes et peu propices à l'armonie
du lien Armée-Nation.Pacifisme et gauchisme déclenchèrent une vague de contestations dans les armées qui nécessita l'action énergique et efficace du général Bigeard,secrétaire d'Etat à la
défense,pour calmer les esprits,apaiser les tensions et remettre ordre et moral dans l'institution militaire.
Mais dans le climat libertaire de l'après 68,l'antimilitarisme d'une bonne partie de la jeunesse en sortit renforcée.
Après le divorce des années 70 ,les années 80 et 90 voient le rapprochement entre militaires et civils.Sociétés militaire et civile sont en phase comme elles ne
l'ont jamais été auparavant.La société militaire se "banalise" et n'est plus à part en raison du "nomadisme" moindre,de la diminution de la taille des familles,de la transformation de l'image et
du rôle des femmes de militaires et de la féminisation accrue des cadres.
Avec la guerre du Golf,l'autorité politique estima qu'elle ne devait pas
envoyer sur le terrain des soldats appelés,le territoire national n'étant pas directement menacé.
En contrepartie,les engagements militaires se faisant sans les appelés et aucune menace avérée n'existant plus à nos frontières ,le lien Armée-Nation s'était réduit
car le pays ne comprenait plus à quoi servait ce sacrifice de 10 mois de vie professionnelle sous les drapeaux.
Aussi,en 1997,projet de droite,la suspension de la conscription est reprise par la gauche quand elle revient au pouvoir.L'armée professionnelle entame alors une
"révolution silencieuse" qui provoque une rupture radicale avec une histoire biséculaire.
En même temps dans l'opinion,l'antimilitarisme des années 70 disparaît en partie et le pacifisme maintenu à une faible audience.Mais la bonne image que l'opinion a
maintenant d'une armée professionnelle est aussi la conséquence d'une certaine indifférence de l'opinion et des partis politiques.
Au regard du lien Armée-Nation,depuis la fin des années 1990,cette posture nouvelle de nos armées qui oeuvrent pour la paix,semble ressentie d'autant plus
favorablement par l'opinion que ces opérations sont peu coûteuses en vies humaines ,satisfaisantes sur le plan moral,et peu gourmandes en sacrifice de la part de l'arrière.
L'engagement français en Afghanistan,quoi qu'on en pense par ailleurs sur le fond ,a modifié tout cela en retrouvant la guerre dure,cruelle,sanglante et coûteuse,à
l'ordre du jour.
Avec les engagements multiples des armées professionnelles en OPEX,et malgré leur efficacité reconnue,aujourd'hui le lien Armée-Nation semble se
distendre.
Les restructurations,les dissolutions,la réduction des effectifs,la création de véritables déserts militaires aussi bien dans les campagnes que dans certaines
grandes métropoles aggravent l'isolement des armées.Aussi,par tous les moyens,elles doivent demeurer présentes physiquement au milieu des Français et témoigner de leur engagement permanent
au service de la France.
Pour rénover,refondre,retisser le lien Armée-Nation,l'école occupe une place centrale,hélas aujourd'hui insuffisamment utilisée.Afin de restaurer le
patriotisme,d'informer et former les jeunes dans un esprit citoyen et civique,de montrer qu'elles demeurent un des ferments de la cohésion nationale,les armées doivent devenir un partenaire
habituel et naturel de l'éducation nationale.A ce titre,elles ne peuvent rester la "Grande Muette".
"L'armée,dernier grand corps de l'Etat parfaitement discipliné,autonome,polyvalent,constitue l'ultima ratio,disponible et efficace à tout moment
quand bien même plus rien d'autre ne fonctionnerait".
Aussi,afin de sauvegarder le lien Armée-Nation,bataille vitale pour l'avenir de la France et de nos armées,il est grand temps que la Grande Muette parle et
s'exprime!
En France,ces derniers mois,dans les associations d'anciens,au sein des régiments,on se désolait de l'indifférence dans laquelle sont "oubliés" les soldats déployés
en Afghanistan,qui viennent de subir leur soixante-quinzième perte depuis 2001.Aujourd'hui,certe,l'hommage rendu s'est amélioré.
Pourtant,aux Etats-Unis,pays que nous aimons souvent critiquer pour ce qu'il est,un vétéran ou un blessé est encore regardé et salué comme un Héros et non comme une
victime.Chaque soldat tué reçoit un hommage individuel et reconnu par la société au cours d'une cérémonie solennelle au cimetière militaire national d'Arlington.
Bref,l'Amérique est encore l'une des rares démocraties occidentale où l'ont peut désapprouver une guerre sans pour autant tourner le dos à l'armée.
Un pays où certains contestent la politique du gouvernement ,mais ne remettent pas en cause le lien entre la Nation américaine et ses forces armées.Un pays
où,dans l'épreuve,quoi qu'il en soit,toute la Nation est totalement solidaire .Où le fameux "support our troops" reste un acte de civisme,de patriotisme et de solidarité que l'on soit républicain
ou démocrate.
La France devrait s'en inspirer!
Le lien Armée-Nation aujourd'hui distendu s'en trouverait amélioré.