Texte reçu de Walter Bibaud,UNP Normandie.
ALLOCUTION DU GENERAL IRASTORZA CHEF D’ETAT-MAJOR DE L’ARMEE DE TERRE
A l’occasion de son adieu aux armes du 30 août 2011
Monsieur le Ministre,
Monsieur le secrétaire d’état,
Mesdames Messieurs les députés,
Mesdames Messieurs les sénateurs,
Monsieur le Grand Chancelier,
Monsieur l’Amiral chef d’état-major des armées,
Monsieur le secrétaire général de la défense nationale,
Monsieur le délégué général pour l’armement,
Monsieur le secrétaire général pour l’administration du ministère de la défense,
Mes camarades chef d’état-major français et étrangers et directeur général de la
gendarmerie nationale,
Messieurs les anciens chefs d’état-major des armées et de l’armée de Terre,
Messieurs les officiers généraux, messieurs les officiers, les sous-officiers et
engagés volontaires,
Monseigneur,
Mesdames messieurs
Mes chers amis,
Monsieur le ministre, Je vous remercie d’avoir bien voulu me faire l’honneur de présider cette cérémonie, témoignant ainsi, si
tant est qu’il en soit besoin, de votre attachement à vos soldats qui vous rendent en considération ce que vous leur
donnez en attention, vous me permettrez même, en affection.
A vous tous un grand merci pour avoir bien voulu m’accompagner en cet instant avec une mention toute particulière pour
:
- tous ceux qui ont fait un long déplacement, et notamment mes amis Ivoiriens ;
- mes camarades CEMAT de pays amis ou leurs représentants dont la présence atteste de la qualité des relations
qu’entretiennent nos armées respectives ;
- mes anciens et en particulier ceux du 8e RPIMa cher à mon coeur, mes amis, ma famille ;
- mais aussi les délégations des différentes armes ou subdivisions d’arme de l’armée de terre.
Il y a un demi-siècle à quelques jours près, je franchissais les grilles de la caserne Changarnier de l’Ecole Militaire
Préparatoire d’Autun. Ensuite tout est finalement allé très vite : 9 ans à se construire une vocation puis 41 à servir, ce mot si lourd de sens dont Maurice Barres disait que c’était le plus beau de la langue française.
Rassurez-vous je ne vais vous retracer ni ma vie ni mon oeuvre, et moins encore me livrer à je ne sais quel exercice hasardeux
de cartomancie stratégicoplanétaire.
Je me contenterai tout simplement de revenir, notamment au profit des plus jeunes, sur les quelques mots qui me semble bien
caractériser l’armée de terre d’aujourd’hui. Je les ai déjà bien souvent évoqués, notamment dans nos écoles mais
puisque commander c’est inlassablement répéter, j’y reviendrai une dernière fois, bien convaincu qu’ils continueront de baliser encore durablement
le chemin du soldat.
Le premier de ces mots, dont nous n’avons bien évidemment pas l’apanage mais pour moi le plus structurant de tous, est celui
de Mission. A chaque fois que je l’évoque, j’ai une pensée pour nos soldats actuellement en opérations, pour ceux qui
vont chaque jour au bout de leur compétence professionnelle et de leur courage physique et je pense tout particulièrement à
nos pilotes d’hélicoptères engagés en Lybie aux côtés de leurs camarades marins et aviateurs et, bien sûr, nos soldats en
Afghanistan et sur les autres théâtres ; à chaque fois, j’ai une pensée pour ceux d’entre eux qui sont allés au bout de leur engagement personnel et professionnel au service de la France, pour nos courageux blessés qui poursuivent dans nos hôpitaux un autre
combat acharné pour reprendre leur place parmi nous, pour leurs familles aujourd’hui dans la peine dont je tiens à
souligner, avec émotion, le courage et la grande dignité dans l’épreuve : « Oui, c’était le choix de mon fils, de mon mari, de mon frère, notre peine est immense mais nous en sommes fiers. »
Ces morts et ces blessés d’une armée de Volontaires que rien ne contraint à servir les armes de la France, nous rappellent
avec force que lorsqu’on a choisi ce métier on ne choisit plus ses missions, sinon il faut avoir l’honnêteté de faire un autre métier. La mission est la clé de voute de notre vocation de soldat ; son accomplissement peut exiger le sacrifice de la vie. A
ces deux titres, elle est deux fois sacrée et devra le rester. Confiée au nom du peuple français par le Président de la
République, élu au suffrage universel et chef des armées, elle l’est dans l’absolu. Mais nous devrons rester vigilants : si d’aventure cette
dimension sacrale venait à s’effilocher au fil des ans, notre métier deviendrait moralement inconsistant et nous serions alors
bien incapables de donner du sens à l’engagement de nos soldats et moins encore à leur sacrifice. Ce jour là, faute d’armée motivée, bref faute d’armée tout court, la voix de la France ne pèserait plus grand chose.
Le second de ces mots est celui de rigueur, rigueur professionnelle s’entend. Pour mille raisons que vous connaissez tous, les
opérations militaires sont devenues infiniment plus complexes et plus exigeantes au plan technique, tactique, humain,
intellectuel et moral mais aussi politique et médiatique. Nous sommes loin des assauts frontaux en ligne de bataillon meurtriers et le seul
courage physique n’est définitivement plus, aujourd’hui, un palliatif commode aux insuffisances individuelles ou collectives.
Je pars avec deux convictions :
Nos soldats sont aussi bien formés que possible mais dans une armée composée à 72% de contractuels et donc en perpétuelle
régénération, l’aguerrissement et l’expérience du combat ne sont jamais définitivement acquis et comme leurs aînés
avant eux, les plus jeunes n’échappent ni au stress ni aux réactions approximatives des premiers combats. Je leur dit une fois de plus avec
force : ayez confiance et continuez à faire ce métier comme vous l’avez
patiemment appris, avec rigueur, quelle que soit votre ancienneté, et rien ne devrait vous surprendre, rien, surtout, ne
saurait vous être reproché !
Ma seconde conviction, c’est qu’en dépit de mythes toujours bien vivaces, tous nos régiments se valent et nous en avons fini
avec cette armée à plusieurs vitesses qui a prévalu quasiment jusqu’à la fin de la professionnalisation.
Parce qu’ils procèdent du caractère, les deux mots suivants sont vraiment des vertus des temps difficiles :
Sans enthousiasme point de soldat. L’enthousiasme c’est le courage du coeur, l’élan spontané qui porte vers l’avant. Il y a
vingt ans, une très vieille Cambodgienne au visage encore ravagé par les ans et les stigmates d’un effarant génocide
justifiait d’une phrase son apparent entrain quotidien : « Tous les matins, je m’oblige à l’enthousiasme ! ». Pour nos hommes sur le terrain,
l’enthousiasme est plus qu’une obligation professionnelle c’est un état d’esprit et pour bien les connaître j’atteste qu’il ne
leur fait pas défaut.
Malheureusement, la vie est ainsi faite que l’enthousiasme a souvent tôt fait de s’émousser sous les coups de boutoir
quotidien. Du courage du coeur, il faut alors passer à celui de la tête et c’est la volonté qui commande alors de faire
encore un effort, encore un pas. Un jour, un jeune parachutiste blessé au combat me disait sur son lit d’hôpital : « Mon général, tous les jours je fais
mes tests d’aptitude physique dans ma tête pour le jour où… ». Il a repris, depuis, sa place parmi nous.
Le cinquième de ces mots est la camaraderie, pas celle des activités artificielles et autres travers superficiels, mais celle
de la franche convivialité, des efforts, des épreuves et des peines partagés, celle de l’attention portée à l’autre qui
permet d’épauler dans les coups durs, notamment au combat. C’est cette camaraderie qui fait que l’on a le cran d’aller récupérer son camarade
blessé sous le feu, de retourner dans le blindé que l’on vient d’abandonner en
flammes pour y récupérer le camarade inconscient, de se coucher sur son camarade blessé pour le protéger au risque d’y laisser
sa propre vie et de l’y laisser d’ailleurs. Vos soldats sont capables de ces courages là, expression ultime de cette
camaraderie. A ce titre, ils méritent la considération de la Nation et cette considération ne doit pas être pesée à l’aune de la légitimité accordée,
à titre personnel, à telle intervention plutôt qu’à telle autre, puisque le soldat nefait que porter, sur ordre, les
armes de la République.
Dans ce domaine, j’ai relevé que l’on passait assez étonnamment de l’indifférence affective à la frilosité compassionnelle et
je m’interroge parfois sur notre capacité à faire face, collectivement, aux vicissitudes de l’histoire. Je regrette
qu’au moindre revers de fortune les polémiques viennent affaiblir la parole de la France et la force de ses armes. Dans l’adversité notre capacité de
résistance doit se traduire par une triple obligation : honorer nos morts,
surmonter nos peines et repartir de l’avant.
Nos monuments aux morts, les plaques de la galerie supérieure de la cour d’honneur des Invalides, témoignent de cette capacité
de résistance de notre pays. Le futur monument à la mémoire de nos soldats tués en OPEX, prolongeracet indispensable
témoignage et entretiendra cette flamme qui ne doit pas s’éteindre et qui s’appelle le patriotisme.
Le mot de la fin sera celui de reconnaissance.
- Je suis reconnaissant à ma mère, 99 ans en cette fin d’année, de m’avoir « collé aux enfants de troupes » comme on disait
alors avec un air menaçant !
- Je suis reconnaissant à tous ces cadres militaires et professeurs civils qui m’ont élevé et supporté dans toutes les
acceptions de ces deux termes avec une pensée nostalgique pour cet état d’esprit si particulier qui unissait tous ces
gamins.
- Je suis reconnaissant au Lieutenant-colonel Poudelet, d’avoir forgé une belle promotion de Saint-Cyriens, la promotion
général de Gaulle, très présente aujourd’hui, et de l’avoir constamment accompagné de son attentive
affection.
- Je suis reconnaissant au Capitaine Bah Souleyman, mon premier capitaine à la 1re compagnie du 3e RIMa d’avoir guidé mes
premiers pas dans ce métier.
- Je suis reconnaissant à tous ceux qui m’ont commandé par la suite à
quelque poste que ce soit, mes capitaines de la 1re du 8, Robert…et Jean- Michel, mes chefs de corps successifs, ceux du 8e
RPIMa, les colonels CANN et Vidal, et du RIMaP de Nouvelle Calédonie, les colonels Soyard et Kutzmann …
- Je suis reconnaissant à tous ceux qui dans des registres si différents et à leur manière m’ont tant appris, les généraux
Servranckx, Bertin, Rideau, Zeller, Bachelet, Poulet trop tôt disparu…
- Je suis reconnaissant à mes deux prédécesseurs immédiats
o Le GAR Thorette qui m’a confié le poste de Major en toute confiance et que je remercie
de son implication dévouée à la tête de notre association Terre fraternité.
o Le général Cuche que j’ai secondé avec bonheur.
- Je demande au général Georgelin et à l’amiral Guillaud de voir dans l’expression de ma reconnaissance autre chose que la
traduction convenue de l’article R3221-3du décret 2009-869.
- Je suis reconnaissant à tous ceux qui ont servi sous mes ordres de l’avoir fait avec autant de dévouement, notamment dans
les jours difficiles avec une pensée toute d’émotion pour mon bien cher camarade Antoine Lecerf.
- Je suis reconnaissant à nos brigadiers et chefs de corps de porter avec autant de conviction le moral et l’excellence
opérationnelle de l’armée de Terre.
- Je remercie la Délégation générale pour l’armement et nos industriels de contribuer à notre capacité opérationnelle en nous
fournissant les équipements performants dont nous avons besoin. Je ne doute pas un seul instant que la franchise voire
la rugosité de nos relations soit, in fine, source d’efficacité opérationnelle.
- Je suis reconnaissant à tous ceux et notamment les associations qui nous soutiennent au quotidien et plus encore aux heures
sombres.
- J’ai bien évidemment le sentiment d’être injuste en oubliant beaucoup d’entre vous. Je forme le voeu que les contacts que
j’aurai plaisir à conserver me permettront de réparer cette injustice.
- Au nom de nos soldats, je voudrais exprimer ma reconnaissance au service de Santé des armées pour son courage en opérations
et son extrême dévouement, du ramassage des blessés sous le feu à leur prise en charge dans nos hôpitaux des armées.
Sans cette chaîne de solidarité et ce savoir faire rassurant et chaleureux, il n’y aurait plus aucun volontaire
pour faire notre métier.
- Naturellement je remercie mes deux adjoints directs successifs, les généraux Joly et Margueron de leur fidélité à mes côtés
et l’EMAT de son investissement quotidien dans la conduite des affaires de l’armée de Terre et de la sympathie qu’il
m’a témoignée hier après-midi..
- Merci mon général Bruno Dary de ta grande humanité dans l’accompagnement de nos familles éprouvées par la perte ou les
blessures de nos soldats.
- Enfin, je souhaite exprimer ma reconnaissance à ma famille, à mon épouse Claire-France qui achève aujourd’hui une carrière
de fille et femme de militaire in fine plus longue que la mienne, et mes enfants Anne-Laure et Adrian auxquels je vais
pouvoir consacrer un peu plus de mon temps.
Pour conclure, si je devais formuler un seul souhait au moment de quitter l’armée de Terre, c’est que nos concitoyens
réalisent enfin à quel point ils ont de bons soldats, courageux, généreux capables des actions les plus héroïques qui se puissent imaginer. Je garde des milliers de mails qui ont bercé mon quotidien de CEMAT, le souvenir très présent de celui,
particulièrement synthétique, que m’avait envoyé un de mes colonels d’Afghanistan : « Mon général, nous rentrons d’une
opération très dure. Mes soldats m’ont bluffé. Mes respects mon
général. ».
Pour les avoir recrutés, je sais d’où ils viennent et je crois que nous pouvons être collectivement fiers de cette dynamique «
d’élévation par l’effort » qui fait qu’après avoir été de bons soldats, les plus performants feront les sous-officiers puis les officiers d’une armée de Terre ayant le culte de la mission, professionnellement rigoureuse, enthousiaste dans l’action,
volontaire et résistante dans l’adversité et surtout soudée par une camaraderie à toute épreuve.
Je la quitte, je vous quitte, avec émotion et la certitude d’avoir fait ce qui devait l’être.
Je lui souhaite, je vous souhaite, bonne chance et suis certain que le général RACT-Madoux y trouvera bien plus que les
satisfactions personnelles et professionnelles qu’il appelle de ses voeux.