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12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 09:30

Transmis par Michel Fries.

 

    Diên Biên Phu et le camp 73.(source "La Charte" 1999)

Diên Biên Phu,le 7 mai 1954.

 

2011-Les Invalides (50)Prisonniers du Vietminh,traités de criminels de guerre,nous sommes acheminés par petits groupes avec nos blessés légers vers une vaste clairière,lieu de rassemblement.Là,le Vitminh nous sépare de nos officiers,de nos camarades africains,nord-africains et vietnamiens.
Commence alors une longue marche vers l'inconnu.
La colonne 41 vit sous la pluies et marche dans la boue,principalement de nuit,afin d'éviter l'aviation française,traverse ou longe des villes ou villages que les anciens appellent Na-Sam,Son-La,monte le col des méos.
Au début une devise "marche ou crève",pour certains,mains attachées dans le dos,sans chaussures parce qu'ils ont tenté de s'évader,pour les autres,transport sur des civières de fortune des camarades blessés ou malades.
Beaucoup vont mourir au cours de cette longue marche,d'épuisement,des suites de leurs blessures,ou de sous-alimentation,car nous n'avons plus de médicaments et comme repas une boule de riz.Le commissaire politique chargé de notre colonne nous fait de longs discours de propagande:<<Criminels de guerre,impérialistes,colonialistes,vous vivez grâce au sacrifice du peuple vietnamien qui se prive pour vous donner à manger,seule la clémence de l'oncle Hô vous permet d'être encore en vie>>.
Nous sommes priés de remettre nos affaires personnelles,montres,bagues,photos,briquets et allumettes,contre un reçu en papier hygiénique sur lequel est porté la mention"sera rendu à votre libération".Privés de feu,nous dépendons de nos gardiens et de leur bon vouloir pour allumer les foyers destinés à nous sécher,réchauffer,et faire cuire notre riz dans nos casques lourds.Lorsque nous avons la chance,au cours d'une halte,de pouvoir nous abriter sous une cagnat,c'est la bagarre entre nous pour avoir la meilleure place.
Après 600 km de marche forcée,toujours sous la pluie,nous n'avons plus de chaussures et arrivons pieds nus dans un village dont j'ignore le nom,transformé camp 73.Pas une seule âme alentour.Les maisons qui serviront de geôles sont vides,sans portes ni fenêtres,avec pour seul mobilier des planches qui nous feront souffrir durant toute notre captivité.Nos geôles sont très éloignées les unes des autres afin d'éviter tout rassemblement.Nous sommes répartis dans chacune d'elle par 12 avec,comme responsable,un homme de troupe désigné par le commissaire politique et cela,en vue de dévaloriser nos sous-officiers.Le commissaire politique nous fait un long discours où,tout spécialement,il nous dit que,grâce à la clémence de l'oncle Hô et à la générosité de son peuple,nos malades et blessés vont être enfin soignés dans l'hôpital du camp,et que,si nous voulons être nourris,il faudra aller faire des corvées de riz et de bois.
Dès que nous emmenons nos camarades à l'hôpital,nous sommes stupéfaits de découvrir une immense salle ouverte aux quatre vents avec des planches alignées l'une à côté de l'autre,où un soldat vietminh faisant office de "docteur" simule d'ausculter nos blessés et malades,et leur distribue de l'aspirine.Bien vite,nous comprenons que "hôpital veut dire morgue" car le Vietminh ne connait pas ou n'a pas les médicaments les plus élémentaires pour soigner des prisonniers atteints de paludisme,dysenterie,béri-béri ou de blessures reçues au combat.


Une journée de prisonnier au camp 73.


Réveil dès le lever du jour,nettoyage des excréments des malades de la nuit,désignation par le responsable du groupe,de"volontaires" pour la corvée de riz ou de bois,discours de propagande,à la fin de celui-ci,retour dans nos geôles sous surveillance et défense absolue de parler.Nous restons assis à méditer et à penser pendant des heures en attendant la boule de riz.Cette inactivité voulue par le  Vietminh est terrible car nous vivons repliés sur nous-mêmes et cela pourrait amener les plus costauds vers l'hôpital si la détention dure encore longtemps,et créer même une animosité entre nous.Lorsque nous sommes autorisés à parler,les conversations n'ont qu'un seul but"nourriture,soins,libération".Chaque nuit,nous sommes réveillés pour être comptés par nos geôliers qui prennent un malin plaisir à effectuer des contrôles inopinés.
L'hygiène n'existe pas,le seul moyen de nous laver est une marre d'eau croupie.
Chaque jour qui passe éclaircit nos rangs,beaucoup de nos camarades démoralisés,anémiés,ne veulent pas se résigner à effectuer les corvées de riz,s'allongent,refusent de s'alimenter et vont rejoindre à l'hôpital,nos camarades moribonds.
Au début,nous enterrons nos camarades avec un linceul de bandelettes blanches offertes par l'armée démocratique,mais le stock étant rapidement épuisé,nous les inhumons à même la terre,sous la surveillance de nos gardiens  qui nous brutalisent  pour fair creuser le plus rapidement  possible les fosses communes.Ils ont peur des épidémies,car la dysenterie fait des ravages avec son cortège d'excréments,de mouches voraces et carnivores qui volent de moribonds en moribonds.
Les corvées de riz se font tous les huit jours à environ 10 kilomètres du camp,nous marchons dans les rizières,traversons des villages où nous sommes exibés,regardés,comme des pestiférés,à moitié nus,maigres,sales,les soldats français ont piteuse allure,et nos gardiens en profitent pour faire leur propagande,et ne bronchent pas quand nous recevons  un caillou ou un crachat.Nous sommes surveillés de très prés,non pas pour éviter une évasion,mais pour empêcher que l'on dérobe du riz dans le boudin qui nous sert au transport;si l'on est pris,gare à la sentence,en général,suppression de nourriture pendant un ou deux jours.
Dès que nous arrivons au camp,nous déposons notre précieux fardeau à la "cuisine" où nos camarades antillais essayent de faire des merveilles pour varier les modes de cuisson de notre nourriture quotidienne qui est constituée d'une boule de riz avec un navet ou liseron d'eau.
Les corvées de bois se font à proximité du camp,nous ramassons des brindilles et cassons des branches.
Le 14 juillet,nous avons droit en supplément  à un morceau de cochon,un sucre noir,et à du tabac que nous fumons avec des feuilles de bananiers ou de papiers séchés,maculés d'excréments que nous trouvons à travers le camp. Ce jour historique est mis en valeur par le commissaire politique qui nous parle de la conférence de Genève,mais sur les droits des prisonniers,pas un mot.Nos camarades moribonds ont droit ,à compter de ce jour-là, à des bananes à cochon, du sucre que nous leur portons et essayons de leur faire avaler mais ,pour beaucoup, il est trop tard.
A la fin de juillet,une dizaine de grands malades sont désignés pour être libérés.
Regroupés,ils ressemblent aux déportés de la dernière guerre,j'ignore s'ils ont rejoint la France.En nous regardant,nous constatons que nous devons leur ressembler,nous sommes tous très maigres,beaucoup ont les yeux agrandis par la fièvre,dépenaillés,véritables témoins de la souffrance humaine.
Août,il doit se passer quelque chose,nous ne sommes plus réveillés pour être comptés,nos gardiens sont plus courtois,certains reçoivent de la quinine,des moustiquaires qui ne peuvent nous servir,car nous n'avons rien pour les accrocher.Un matin,nous sommes tous rassemblés,et le commissaire politique nous dit que,grâce à l'oncle Hô,à sa générosité,sa clémence,nous allons sans doute être libérés,mais il ne sait pas quand.Il établit des listes,pour les valides,malades,cela va durer huit jours.Nous sommes angoissés car,malgrè l'espoir de notre future libération,la mort fait toujours des ravages?
Le grand jour arrive,nous quittons ce camp de la mort,sans nos grands malades,le commissaire politique ayant ,suite à notre demande,refusé de les emmener avec nous.A ce sujet,il nous a répondu:<<Non,ils seront acheminés par l'armée démocratique>>.Est-ce que cela a été fait pour tout le monde?Une preuve que non,l'un de mes meilleurs camarades n'a pas répondu présent à Haïphong.Est-il mort après notre départ du camp ou pendant  son transport vers la liberté?Nous ne le saurons jamais.
Nous marchons deux jours et sommes amenés dan un village,là,nous sommes hébergés dans un ancien monastère.Nous avons droit à du poulet,du riz,des fruits,faisons un repas pantagruélique  dont certains mourront quelques jours plus tard.Nous pouvons nous laver,l'on nous habille avec des tenues et sandales viêtminh.
Nous sommes dirigés par camions vers Samson,débarqués nous marchons encore une heure et,au bout d'une clairière,nous apercevons notre drapeau national.Quelle émotion,nous pleurons et pensons être libres de suite.
<<Non>>,nous répond notre nouveau commissaire politique,car il faut attendre la Commission internationale d'armistice"qui constatera que vous avez été bien traités".
Ce jour là,nous apprenons la fin de la guerre.
Des jours d'angoisse et de désespoir car,si près du but,des camarades meurent encore de fièvre et de dysenterie.Nous demandons à nos gardiens pourquoi nous sommes toujours là,le commissaire politique nous répond invariablement:<<C'est la faute des Français qui font traîner les négociations,peut-être ne vous veulent-ils plus>>.Pour des hommes en pleine santé,cela les aurait fait sourire,mais nous étions tellement épuisés,moralement et physiquement,que nous étions arrivés à douter de nous-mêmes et de nos gouvernants,la politique dirigée par l'oncle Hô faisant encore des ravages sur le plan psychique.
Enfin,la Commission internationale d'armistice est arrivée,nous a examinés,et nous avons encore attendu un jour,c'est là qu'une délégation de femmes vietminhs est venue nous apporter un message de paix,et remis un mouchoir en drap sur lequel est brodé une colombe.Jusqu'au dernier moment de captivité,l'oncle Hô aura été parmi nous.
Avant d'embarquer sur les bateaux  de notre Marine nationale,nous avons vu les prisonniers vietminhs qui revenaient de nos prisons,bien nourris, avec valise et certains avec poste de radio.
Libres,nous n'avons pu manifester notre joie car nos pensées étaient tournées vers ceux qui ne reverraient  jamais la France,et aux camarades qui étaient encore prisonniers dans les camps vietminhs.
Il y a de cela 44 ans,nous étions le 18 août 1954,j'avais 20 ans.L'on croit que le temps efface tout,il est des événements qu'un homme subit et qu'il ne peut effacer de sa mémoire.Aujourd'hui,j'ai l'impression que,durant cette période de ma vie,j'ai été entouré de plus de morts que de vivants. 

Pierre Monjal.

 

Lien sur le blog:  le parachutiste Jean Paul CIPA -disparu au camp 73.

Recherche d'informations sur Parachutiste disparu en Indochine.Au résultat.

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