source de ce texte-vieux DLP.
La parade des mal foutus-de Henri Le Mire(12/10/1989)
Vous aviez,parait il,Monsieur,fort belle allure
Ventre plat,taille haute,impeccable denture,
quand vous nous conseillez d'éviter d'exposer
dans nos cérémonies,réunions défilés,
ceux d'entre nous qui n'offrent qu'un bien triste aspect,
assez peu esthétique ou,avouons le,fort laid
de ventres distendus,de crânes déplumés
de visages vieillis,de membres déformés.
Et qu'il était navrant d'entendre de vieux chnocks,
ressasser leur campagne au sein du éniem'choc,
pour la centième fois en long et en détail,
ces minables combats,ces absurdes batailles
et qui n'ont de nos jours plus aucune importance.
On en a raz le bol,pitié!on s'en balance!
Qui s'interesse encore à ces récits confus
qui se passaient bien loin en des temps révolus?
Vous nous disiez,Monsieur,que l'image de marque
des paras en souffrait;car le public remarque
ce qui n'est pas parfait.Ca la fout plutôt mal
de faire défiler ces boiteux,ces bancals;
il faudrait désormais que tous ces gens s'abstiennent,
que seuls les élégants,les grands et ceux qui tiennent
souples vifs et félins sans trembler sur leurs jambes,
aient le droit de venir pour ranimer la flamme;
ce serait pour nous tous excellente réclame!
Vous ajoutiez,Monsieur,avec impatience
que dans les défilés nous manquions de prestance.
Disparaissez ventrus,mal bâtis et sans grades!
Votre vue enlaidit les splendides parades
qu'on devrait réserver aux seuls gens glorieux
qui donnent des paras un look prestigieux
conforme à leur standing;car il est des blessures
plus ou moins bien perçues.Les uns ont de l'allure
mais d'autres sont miteux et si inesthétiques
qu'on devrait les cacher loin de la voie publique.
La blessure par balle a un air distingué,
mais cracher ses poumons,ahaner,éternuer
ou même avoir la chiasse est du dernier vulgaire
.Les héros fatigués ne sont guère élégants,
il serait mal séant d'étaler leurs misères.
Vous nous l'avez bien dit et sans prendre de gants(l'auteur ajoute-authentique à la Saint Michel 1989)
Ne doutons pas,Monsieur,que vous soyez sincère
et que vous avez cru,en nous parlant,bien faire.
Mais permettez,Monsieur,que je parle à mon tour;
je ne suis pas d'accord et vous dit sans détour;
"Vous avez déconné,Monsieur,à plein tuyaux,
je vais vous l'expliquer simplement en deux mots!"
Excusez nous,Monsieur,de n'être plus trés beaux
grands,jeunes et droits,et d'aspect agréable
quand nous venons saluer ceux qui sont au tombeau
et qu'on avait connu en des temps plus aimables.
C'était pendant la guerre et nous avions vingt ans.
Visitant des pays à l'aspect séduisant,
on parcourait le monde aux frais de la princesse.
Aprés quelques combats en Europe,en Lybie,
ou bien quelques séjours dans les prisons nazies
(très dépourvus de la moindre délicatesse)
après avoir vécu dans l'enfer japonais
nous remettions ça,toujours à moindre frais,
arpentant la rizière,ou chasseurs et chassés
l'emportaient tour à tour;certains de nous mouraient
avec leurs illusions.Les autres plus chanceux
plus ou moins estropiés,manchots ou bien boiteux
regagnaient un pays qui leur manifestait
une reconnaissance on ne peut plus distraite.
Car au bout de huit ans de replis,de retraites,
nous avions eu le tort d'être à la fin vaincus
à Cao Bang,Tu Lé,Anh Khé et Dien Bien Phu.
Mais lorsque par hasard on osa l'emporter,
Paris nous enjoignit de cesser cette erreur
car nous ne devions pas essayer de penser.
Nous devions la fermer et mourir à notre heure,
nous étions après tout rémunéré pour ça!
Mais voyez vous,Monsieur,cette blessure là
a courbé d'avantage nos trop raides carcasses
et laissé en nos coeurs des rancunes tenaces.
Et nous avons vieilli en supportant le poids
des atteintes de l'âge et des saloperies
qui nous rongent les reins,les tripes et le foie,
des humiliations que nous avons subies.....
Le poids du souvenir de tous nos camarades
abandonnés mourants,épuisés et malades
oubliés à jamais dans leurs lointaines tombes,
enfouis dans le sol que retournaient les bombes.
C'est pourquoi nous avons parfois le regard vague,
notre coeur est loin,et notre esprit divague....
Et d'invisibles pleurs coulent sur nos visages
au souvenir lointain des débuts de notre âge.
Je ne crois pas,Monsieur,que vous ayez vécu
la gloire et le mépris que nous avons connus.
Par principe j'admets qu'en pareille occasion
vous auriez aussi bien joué votre partition
mais ne critiquez pas ceux qui ont combattu
et qui sont revenus épuisés et fourbus.
Et qui raconterait notre confuse histoire
sinon ces vétérans oubliés de la gloire?
Nous continuerons donc comme par le passé
d'étaler en public notre aspect suranné.
Nous ne marcherons pas qu'avec la prestance
qui ferait se pâmer les foules de la France.
Nos rangs mal alignés,l'embonpoint,la maigreur
ne donnent pas de nous une image agréable,
nos rubans fanés pendant d'un air lamentable
sous le poids des médailles et celui du malheur.
Mais l'aspect extérieur n'est pas si important
qu'on puisse en faire grief à tous ces braves gens.
Il faur réaliser que,lorsque nous marchons
sur les champs Elysées,défilent sur l'asphalte
cinquante années d'histoire et tous nos compagnons
qui nous ont précédés vers notre ultime halte.
Henri Le Mire.
(texte emis par les blogs de Nancy et Thionville)